Les peuples du monde prennent la parole: Céline Parra et les Mapuche du Chili
Dans notre série d’interviews « Les peuples du monde prennent la parole », Céline Parra partage ses expériences avec les Mapuche du Chili. Céline Parra est ethnologue et a tissé des liens avec les Mapuche qu’elle entretient depuis 2012.
On devrait apprendre qu’il existe des modes de vie et des rapports au monde simplement multiples et variés, non pas gênants, arriérés ou à évangéliser […]
Céline Parra, présentez-vous en quelques mots
Je m’appelle Céline Parra, je suis ethnologue et j’ai commencé mes recherches avec les Mapuche en 2012.
J’ai un projet de thèse, mais qui n’est pas encore enclenché parce qu’aujourd’hui il y a un surnombre de doctorants pour les enseignants chercheurs dans les universités françaises… Du coup j’y travaille de mon côté.
Temps libre = photo ! Et je prépare un projet de film ethnographique que j’envisage dans une communauté mapuche pewenche où j’ai vécu en 2017.
Céline Parra, présentez-vous en quelques mots
Je m’appelle Céline Parra, je suis ethnologue et j’ai commencé mes recherches avec les Mapuche en 2012.
J’ai un projet de thèse, mais qui n’est pas encore enclenché parce qu’aujourd’hui il y a un surnombre de doctorants pour les enseignants chercheurs dans les universités françaises… Du coup j’y travaille de mon côté.
Temps libre = photo ! Et je prépare un projet de film ethnographique que j’envisage dans une communauté mapuche pewenche où j’ai vécu en 2017.
Dites-nous en plus sur les Mapuche
L’idéal serait qu’ils se présentent eux-mêmes ! Les Mapuche habitent dans un territoire qui s’étend du Chili à l’Argentine, de Santiago de Chile aux Îles Chiloé, et de l’autre côté de la cordillère, dans les régions de Neuquén, du Chubut et du Rio Negro. On estimerait à 70 % les Mapuche qui habitent en ville, comme Santiago ou Temuco. Et c’est pas parce qu’ils habitent en ville qu’ils ne sont pas Mapuche !
Pour les présenter sans faire de raccourcis ni de généralités, je vais parler des communautés rurales dans lesquelles j’ai vécu. Contrairement aux photos, le quotidien n’est pas si exotique. Rarement en costumes, sans parure de bijoux féminines, ils habitent des maisons classiques chiliennes en bois sur leur parcelle. Les familles qui m’ont accueillies vivaient presque toutes de leurs troupeaux (moutons, chèvres) mais cumulaient plein d’activités.
J’ai rencontré de nombreux pères de famille travaillant dans le bâtiment ou l’industrie forestière. Certains sont enseignants dans les écoles et donnent des cours de langue mapuche, le mapudungun. D’autres tissent et transforment la laine. Quelques uns vivent du tourisme, notamment de la gastronomie mapuche. J’ai aussi rencontré des guérisseuses et un chamane qui réalisent aussi toutes ces autres activités.
Dites-nous en plus sur les Mapuche
L’idéal serait qu’ils se présentent eux-mêmes ! Les Mapuche habitent dans un territoire qui s’étend du Chili à l’Argentine, de Santiago de Chile aux Îles Chiloé, et de l’autre côté de la cordillère, dans les régions de Neuquén, du Chubut et du Rio Negro. On estimerait à 70 % les Mapuche qui habitent en ville, comme Santiago ou Temuco. Et c’est pas parce qu’ils habitent en ville qu’ils ne sont pas Mapuche !
Pour les présenter sans faire de raccourcis ni de généralités, je vais parler des communautés rurales dans lesquelles j’ai vécu. Contrairement aux photos, le quotidien n’est pas si exotique. Rarement en costumes, sans parure de bijoux féminines, ils habitent des maisons classiques chiliennes en bois sur leur parcelle. Les familles qui m’ont accueillies vivaient presque toutes de leurs troupeaux (moutons, chèvres) mais cumulaient plein d’activités.
J’ai rencontré de nombreux pères de famille travaillant dans le bâtiment ou l’industrie forestière. Certains sont enseignants dans les écoles et donnent des cours de langue mapuche, le mapudungun. D’autres tissent et transforment la laine. Quelques uns vivent du tourisme, notamment de la gastronomie mapuche. J’ai aussi rencontré des guérisseuses et un chamane qui réalisent aussi toutes ces autres activités.
Du côté des croyances et des traditions, je peux vous renvoyer vers mon site, où j’ai quelques écrits.
Je voudrais mentionner une célébration qui s’appelle le Nguillatun. C’est une cérémonie qui consiste à demander au Ngenechen (une divinité mapuche) abondance, santé et prospérité. Un machi, chamane, guide la cérémonie. Sur plusieurs jours s’enchaînent offrandes, prières, repas, danses, chants et musique. C’est notamment lors de cette cérémonie que les costumes et les parures sont portés par les participants.
Du côté des croyances et des traditions, je peux vous renvoyer vers mon site, où j’ai quelques écrits.
Je voudrais mentionner une célébration qui s’appelle le Nguillatun. C’est une cérémonie qui consiste à demander au Ngenechen (une divinité mapuche) abondance, santé et prospérité. Un machi, chamane, guide la cérémonie. Sur plusieurs jours s’enchaînent offrandes, prières, repas, danses, chants et musique. C’est notamment lors de cette cérémonie que les costumes et les parures sont portés par les participants.
Racontez-nous votre première rencontre.
A l’aéroport de Santiago. Le premier jour où j’ai posé les pieds au Chili. Je l’ai écrite dans mon carnet de route :
Deux jours avant mon vol vers le Chili, j’avais contacté Elvis, un jeune étudiant, mapuche, qui saute sur toutes les occasions pour aller dans le Sud du pays, photographier des communautés mapuche et surtout les conflits avec l’armée et la police chilienne… Il doit venir me chercher à l’aéroport et m’héberger quelques jours.
Je porte ma veste orange comme je lui avais indiqué la veille, pour qu’il me repère parmi la foule. J’avais pensé que la plupart des gens auraient des habits sombres, et c’est bien le cas. Lui doit tenir un drapeau mapuche dans les mains. Mais il y a un hic ! Je ne vois pas de drapeau mapuche dans les mains de personne. Petit à petit, le temps passant, je me dirige vers la sortie, me faisant à l’idée qu’il n’est finalement pas venu. Intérieurement, je m’agace, « Naïve Céline ».
J’arrive au niveau de la porte principale, pensant ouvrir mon guide et trouver une auberge dans la ville. Mais je me fais surprendre par un homme, la quarantaine : « Max, je suis un ami d’Elvis ». Moi de répondre « Euh… d’accord… » Puis, l’air pressé, ou inquiet, Elvis. Me demandant directement si je suis bien Céline, il prend mon sac sur son dos. Les deux se regardent un bref instant, « vamos ».
Elvis me tire vers la sortie en pressant le pas. Nous nous trouvons à courir à travers l’immense parking de l’aéroport. Je peine à suivre, les jambes engourdies par l’avion. Dans les foulées, des questions simples : Comment tu vas ? Bien, et toi ? Qu’est ce qu’il se passe ? On va t’expliquer, cours !
Tout d’un coup et sans rien comprendre, je me retrouve dans le vieux pick-up rouge sans compteur. Elvis a un soupir de soulagement. Max, qui ne sait pas vraiment conduire, passe les vitesses au hasard. Dans le bruit assourdissant de la voiture et les malmenages de l’embrayage, nous nous dirigeons vers le centre de Santiago. Entre les voix de mes deux acolytes, dont je ne saisis pas grand-chose, et les grincements du pick-up dans les nids de poule de la route m’apparaît la cordillère des Andes.
J’ai l’impression d’être dans un film. Mon cœur s’emballe. Du siège passager, Elvis se retourne vers moi. Il m’explique que si nous sommes partis de l’aéroport dans ces conditions, c’est parce que des policiers l’avaient vu avec le drapeau mapuche, et qu’une dizaine d’entre eux s’étaient rassemblés à l’étage, l’observant. Ils avaient en vue quelque chose de suspect : un Mapuche dans un lieu public, portant un drapeau, qui va donc lancer un mouvement. « Donc on aurait pu se faire embarquer par la police ? » « Oui ! ».
[…] pour d’autres familles, c’était risqué d’être en contact, parce qu’elles étaient surveillées par la police pour militantisme…
Quelles sont vos relations avec les Mapuche ? Êtes-vous toujours en contact avec eux ?
Pour certaines familles, je n’ai plus de nouvelles, mais c’est leur choix et je ne peux que le respecter. Quand j’y pense, je suis un poids pour eux, même si je tente d’être la plus autonome possible.
Aussi, pour d’autres familles, c’était risqué d’être en contact, parce qu’elles étaient surveillées par la police pour militantisme… Et je veux juste qu’elles se portent bien et qu’elles soient en sécurité. Certains m’ont considéré comme un membre de la famille, et je suis en contact régulier avec la plupart.
Deux personnes me sont très chères : Angelica, une amie tisseuse et agricultrice qui habite au Sud de Temuco et Elvis (qui a réalisé les photos) à Santiago. J’ai hâte de les retrouver !
Dans le contexte actuel de remise en question de nos sociétés, que peut-on apprendre d’eux ?
En premier temps, ce qu’on peut apprendre c’est qu’on devrait dépasser cette fracture entre « eux » et « nous », qu’on retrouve justement dans cette question. On devrait apprendre qu’il existe des modes de vie et des rapports au monde simplement multiples et variés, non pas gênants, arriérés ou à évangéliser comme veut le faire croire Bolsonaro au Brésil…
A l’inverse, on ne devrait pas non plus tomber dans l’autre extrême en les fantasmant, en les « bon-sauvagisant » pour finir par se perdre dans des clichés, comme a pu le faire Onfray dans son dernier bouquin sur la Guyane.
[…] puisque comme tout le monde, ces populations veulent juste être respectées et rester tranquilles.
Pourquoi, selon vous, est-il nécessaire de donner la parole aux peuples racines ?
C’est une question qui ne devrait pas se poser. Mais en effet, selon les politiques nationales, on ne la leur donne pas, ou très peu. Cela me paraît nécessaire pour des questions de reconnaissance (identitaire, territoriale…) et pour dépasser les préjugés. Les Mapuche ne sont pas reconnus au Chili et ce n’est pas rare de voir des répressions de communautés et des blessures par balles venant de la police, plutôt que des espaces de dialogue pour chercher à comprendre le fond du problème, la demande, la revendication.
Aussi, c’est fondamental lorsque ces populations se retrouvent au cœur de projets de développement, puisque comme tout le monde, elles veulent juste être respectées et rester tranquilles. Je travaille avec un village pewenche de la cordillère chilienne qui a vu l’implantation d’une centrale hydroélectrique. Ce projet a aussi affecté de nombreuses communautés voisines, et les processus de consultations des familles (devant être assurés par une institution en charge des populations autochtones du pays) ne se sont pas fait dans les règles… Par exemple, la multinationale a fait signer des contrats à de nombreuses personnes en profitant de leur analphabétisme…
Quels changements souhaitez-vous voir dans le monde à la sortie de la crise que nous vivons actuellement ?
Beaucoup… Je dirais qu’au lieu de ne penser que croissance et profit, j’aimerais voir plus d’écoute et de bienveillance.
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