48h avec Serenji chez… les Mentawai

Remontée de la rivière en pirogue

Nous nous préparons pour l’expédition chez les Mentawai et rejoignons la rivière. Sarul et Liki, nos guides locaux, ont prévu la nourriture, l’eau et le matériel pour les prochains jours dans la jungle. Ils ont également pensé au sucre, au café, au tabac et aux cigarettes que nous remettrons en cadeaux à nos hôtes de la jungle. Parce que les cadeaux sont aussi personnels, nous prenons quelques cigarettes supplémentaires à la petite épicerie en bord de rivière que nous paquetons avec les produits régionaux rapportés de France.

Nous chargeons les pirogues à moteur et nous nous installons le plus confortablement possible. Cinq heures de navigation nous attendent. Pak Pong, le propriétaire des pirogues, fait vrombir le moteur. Nous remontons doucement la rivière limoneuse. De part et d’autre, la jungle nous toise. Les minutes, les heures passent et nous avons le sentiment de nous faire avaler petit à petit par la végétation. Une pirogue nous croise, fendant les flots. Le salut est de mise alors que l’embarcation passe à notre hauteur. A son bord, une femme attire notre attention. Elle semble avoir des tatouages sur le visage et sur les mains. Nous l’observons hagard puis elle disparaît au méandre suivant.

Rencontre avec le premiers hommes-fleurs de la jungle

Nos pirogues accostent enfin. Nous sommes arrivés à Kulukubuk, un petit village gouvernemental en bord de rivière. Le fils de Toïkot nous accueille. Il nous accompagne à pied jusqu’à une belle cascade où nous nous rafraichissons. De retour au village, un groupe de femmes et de jeunes hommes nous attendent. Ce sont nos porteurs qui chargeront nos vivres et notre matériel jusque dans le territoire Butui. Un vieil homme nous salut, il porte un pagne rouge et une coiffe en perles jaunes, blanches et rouges. Sur son torse, ses jambes, ses bras, des tatouages tribaux. C’est Toïkot, le vieux shaman espiègle. Il ne manque pas de nous taxer d’une cigarette qu’il coince entre ses dents noircies.

Marche à travers villages et jungle

Après le déjeuner nous commençons notre marche. Nous débutons sur la piste boueuse, défrichée par le gouvernement pour relier les villages du sud et du nord de l’île. Nous traversons plusieurs villages gouvernementaux habités par les Mentawai qui ont quitté la vie de chasseur cueilleur sous la pression de la police. Après le village de Madobag, nous quittons la piste pour nous enfoncer dans la jungle. Nous traversons d’abord une plantation de Sagou au terrain marécageux. Puis nous suivons un petit cour d’eau qui nous monte jusqu’aux genoux. Après plus de 2 heures de marche au total nous arrivons sur le territoire de Aman Salomo, notre hôte homme-fleur. Par-delà les arbres nous apercevons sa Uma, sa grande maison de bois sur pilotis.

Accueil par les Mentawai

Lui et sa femme Tisalamati nous accueillent. Les premiers gestes sont hésitants. Nous prenons place dans la Uma, le thé est servi et les cigarettes passent de main en main. On s’observe, on se sourit. Notre guide et le cuisinier préparent le repas tandis que Tisalamati chauffe du sagou sur le feu. Salomo est sikkerei, c’est à dire qu’il est shaman. Il est paré de son pagne et arbore les tatouages traditionnels.

Lorsque la nuit tombe, les langues se délient. Nous sommes invités à manger avant nos hôtes. C’est la règle ici. Nous la transgresserons surement demain en invitant Salomo à se joindre à nous, puis à Tisalamati qui ne le fera que lorsqu’elle l’aura décidé. À la lueur de la petite lampe solaire, Salomo nous raconte quelques histoires après le repas. Puis nous tendons les moustiquaires et nous nous installons côte à côte. La jungle nous murmure ses merveilles, elle nous chante ses comptines que nous pensions effrayantes mais qui sont finalement si douces.

Au cœur de la jungle chez les shamans

Alors que l’aube pointe le bout de son nez, Salomo est déjà debout. Il prépare le sagou pour les poules et s’occupe de ses plants. Nous nous réveillons doucement, prenons le thé en silence et observons la jungle se réveiller.

Après le petit déjeuner, nous allons faire un tour à la rivière et dans la plantation de sagou de Salomo. Nous visitons son territoire. Un arbre de sagoutier est coupé et Salomo nous demande de l’aider à rapper le tronc. La poudre est collectée et mise sur un tamis, aspergée d’eau et foulée à pieds nus. La molasse ainsi créée est récupérée dans un tronc creusé. C’est le sagou. La base de la nourriture des hommes de la jungle.

Activités quotidiennes Mentawai

Plus loin, un arbre de sagoutier est à terre depuis plusieurs jours. Une odeur âcre s’en dégage. Le tronc a commencé à fermenter et des scarabées y ont pondu leurs œufs qui sont désormais de belles larves charnues. Ce sont les tamaras, les friandises favorites des enfants Mentawai. A coup de hache nous éventrons le tronc et récoltons à mains nus les larves que les enfants s’empressent d’avaler vivantes. Nous en ramenons à la Uma, certaines seront cuites en brochettes, d’autres dégustées telles quelles.

Alors que Tisalamati fait cuire le sagou, Salomo nous montre son arc et ses flèches. Certaines ont besoin de poison frais pour la chasse. Nous allons récolter les ingrédients autour de la maison, puis le shaman prépare la mixture qu’il applique ensuite méthodiquement sur les pointes. Les flèches empoisonnées sont gardées dans une cachette par le shaman afin que les enfants ne puissent les trouver. Si la pointe transperce l’épiderme, c’est la mort assurée.

Après le déjeuner nous partons en forêt pour dépecer un arbre de son écorce que l’on tanne pour en faire des pagnes traditionnels Mentawai. De retour à la Uma, Salomo et les hommes s’isolent à l’abri des regards des femmes. Ils se mettent à nu et le shaman leur explique comment nouer le pagne. Ils se parent des coiffes et ajoutent les fleurs d’hibiscus. C’est de là que vient le terme « hommes-fleurs » inventé par les premiers explorateurs pour qualifier ces peuples de la jungle.

Pêche avec les femmes Mentawai

Ce sont ensuite les femmes qui s’isolent avec l’épouse du shaman qui est allée préalablement récolter quelques feuilles de bananiers. Elle en fait des jupes, qui sont le seul vêtement que portent les femmes Mentawai pour aller dans la rivière pêcher les petits poissons et crevettes d’eau douce. Ensemble nous marchons jusqu’au cours d’eau. Épuisette à la main, les femmes ont un morceau de bambou en bandoulière pour collecter le poisson. Les hommes les regardent et vaquent à d’autres occupations. La pêche est une activité réservée aux femmes chez les Mentawai.

Nous participons ainsi au quotidien de nos hôtes Mentawai, allons rendre visite aux autres familles de la forêt, apprenons à reconnaître les arbres et les plantes et à nous repérer dans la jungle. Nous apprenons à nous connaître, nous échangeons le soir au coin du feu, nous chantons quelques ritournelles de nos contrées tandis que les shamans entonnent les chants des ancêtres. Notre voyage chez les Mentawai débute à peine…

Je découvre le peuple Mentawai